LA CHÈVRE DE M. SEGUIN
M. Seguin n’avait jamais eu de bonheur avec ses chèvres.
Il les perdait toutes de la même façon : un beau matin, elles cassaient leur corde, s’en allaient dans la montagne, et là-haut le loup les mangeait. Ni les caresses de leur maître, ni la peur du loup, rien ne les retenait. C’était, paraît-il, des chèvres indépendantes, voulant à tout prix le grand air et la liberté.
Le brave M. Seguin, qui ne comprenait rien au caractère de ses bêtes, était consterné. Il disait:
— C’est fini ; les chèvres s’ennuient chez moi, je n’en garderai pas une.
Alphonse Daudet
Lettres de mon moulin
Le secret de maître Cornille
Maître Cornille était un vieux meunier, vivant depuis soixante ans dans la farine et enragé pour son état. L’installation des minoteries l’avait rendu comme fou. Pendant huit jours, on le vit courir par le village, ameutant le monde autour de lui et criant de toutes ses forces qu’on voulait empoisonner la Provence avec la farine des minotiers. « N’allez pas là-bas, disait-il ; ces brigands-là, pour faire le pain, se servent de la vapeur, qui est une invention du diable, tandis que moi je travaille avec le mistral et la tramontane, qui sont la respiration du bon Dieu… » Et il trouvait comme cela une foule de belles paroles à la louange des moulins à vent, mais personne ne les écoutait.
Alphonse Daudet
Lettres de mon moulin
Oscar V. de L. Milosz
(28 mai 1877 - 2 mars 1939)Oskar Wladisław de Lubicz Miłosz était un diplomate lituanien, venu à Paris en 1889, et qui écrivit toute son œuvre en français. Ce furent d’abord plusieurs recueils de poésie, deux drames en vers et un roman. Puis, à compter de 1926, il ne publia plus que des ouvrages sur le mysticisme ou sur son pays natal.
Symphonie de novembre
Ce sera tout à fait comme dans cette vie. La même chambre.
— Oui, mon enfant, la même. Au petit jour, l’oiseau des temps dans la feuillée
Pâle comme une morte : alors les servantes se lèvent
Et l’on entend le bruit glacé et creux des seaux
À la fontaine. Ô terrible, terrible jeunesse ! Cœur vide !
Ce sera tout à fait comme dans cette vie. Il y aura
Les voix pauvres, les voix d’hiver des vieux faubourgs,
Le vitrier avec sa chanson alternée,
La grand-mère cassée qui sous le bonnet sale
Crie des noms de poissons, l’homme au tablier bleu
Qui crache dans sa main usée par le brancard
Et hurle on ne sait quoi, comme l’Ange du jugement.
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